POÈME DE VITALIE RIMBAUD
On n’a pas souvent l’occasion de lire les rares poèmes écrits par la jeune sœur d’Arthur, (Jeanne, Rosalie) Vitalie Rimbaud (1858-1875) morte à dix-sept ans passés d’une – dit-on – synovite tuberculeuse, autrement dit d’une tuberculose qui s’est manifestée au niveau des articulations. On peut noter qu’Arthur lui-même mourut après des problèmes au genou gauche, puis au genou droit, d’une tumeur maligne à la cuisse droite qui se propagea aux bras droit puis gauche, malgré l’amputation de sa jambe. Triste destinée pour « l’homme aux semelles de vent », le maniaque de la marche. On évoque régulièrement le rôle qu’aurait pu jouer la syphilis dans sa maladie, mais jamais un terrain génétique ou familial tuberculeux.
Enfin, ce qui est assuré – et qui semble-t-il n’a pas été beaucoup évoqué ou beaucoup développé – c’est que la mort de sa jeune sœur en fin d’année 1875 a pu être un, voire l’élément final dans son abandon définitif de la poésie, de la littérature et de l’art. Clôture mortuaire d’un mouvement amorcé dès 1873 avec la diffusion confidentielle d’Une Saison en Enfer, un regain d’intérêt en 1874 consistant en la production ou la mise au propre d’une partie des Illuminations et s’achevant avec sa remise à Verlaine, arrivé le chapelet aux mains (ce qui amusa Rimbaud : « Trois heures après on avait renié son dieu et fait saigner les quatre-vingt-dix-huit plaies de N.S. »), à Stuttgart, en février 1875, du manuscrit des Illuminations (derniers vers de 1872 et prose de 1872 à 1874-75 ne faisant alors qu’un tout) afin qu’il le remette à Germain Nouveau, pour une éventuelle publication. Pourquoi Germain Nouveau d’ailleurs ? Verlaine semblait plus approprié. Mais ce n’est qu’en 1886, en cinq livraisons de la revue La Vogue qu’eut lieu la première publication des Illuminations (sans les dits « derniers poèmes » de 1872 définitivement écartés, séparés par Paterne Berrichon). La première édition complète ou jugée telle n’interviendra que dans l’édition de Rimbaud de 1895.
À l’occasion de l’enterrement de Vitalie, Rimbaud au lieu d’exhiber sa fière et généreuse tignasse, n’eut qu’à présenter aux assistants surpris un crâne rasé. On pourrait s’interroger aussi sur le sens de cet acte. L’ami fidèle Ernest Delahaye (qui rappelons-le désespéra dans les années suivantes de sa déchéance poétique et de sa « bougite » maladive) croqua à cette occasion « la tronche à Machin » bien connue :
La jeune sœur de Rimbaud écrivit quelques poèmes (apparemment non datés) dont celui que nous vous présentons maintenant, où cette dernière ne se fait guère d’illusion sur son proche avenir :
LA FLEUR
Fleur charmante et solitaire
Qui fus l’orgueil du vallon,
Tes débris jonchent la terre
Dispersés par l’aquilon.
La même faux nous moissonne ;
Nous rêvons au même dieu ;
Une feuille t’abandonne,
Un plaisir nous dit adieu.
Hier, la bergère encore,
Te voyant sur son chemin,
Disait « Fille de l’aurore,
Tu m’embelliras demain ».
Mais sur ta tige légère
Tu t’abaissas lentement
Et l’ami de la bergère
Vint te chercher vainement.
Il s’en retourne et soupire :
Console-toi, beau pasteur !
Ton amante encor respire,
Tu n’as perdu que la fleur.
« Hélas ! et ma jeune amie
Ainsi que l’ombre a passé ;
Et le bonheur de ma vie
N’est plus qu’un rêve effacé. »
« Elle était aimable et belle,
Son pur éclat s’est flétri ;
Et trois fois l’herbe nouvelle
Sur sa tombe a refleuri. »
À ces mots sous la ramée,
Je suis la route et j’entends
La voix de ma bien-aimée
Me redire : « Je t’attends ».
Vitalie Rimbaud (fille) vers l’âge de quinze ans. Selon Ernest Delahaye, elle avait la peau claire, les cheveux châtains foncés et les yeux bleus de son frère Arthur.
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